El Hierro et le 27 juin : la fête de l’indépendance énergétique

Le 27 juin 2014, l’indépendance énergétique d’El Hierro sera proclamée dans une ambiance festive et l’île sera définitivement la vitrine espagnole des énergies renouvelables. Je profite de cette belle chose pour faire un résumé personnel sans renvoi qui briserait la lecture et sans surlignage ou mise en italique.

Laissés de côté depuis les années 1960 par le boom touristique de l’archipel des Canaries, les représentants élus de l’île d’El Hierro (270 km2, 10 000 habitants aujourd’hui) se trouvèrent, une vingtaine d’années plus tard, face à la volonté expansionniste de l’armée espagnole. Cette dernière cherchait d’y agrandir son emprise foncière afin d’installer des radars, profitant de sa position géographique avancée dans l’Atlantique et de la clarté de ses ciels due à la faiblesse de sa population et des activités humaines.
Prendre son destin en main ou bien devenir autonome signifièrent pour la population faire le choix de l’indépendance énergétique. Un parti insulaire, membre de la Coalition Canarienne qui gouverne la région autonome de l’archipel, avait pris par la voie électorale le pouvoir sur El Hierro dès 1979 et le conserva, sauf lors d’un mandat, jusqu’en 2011. Il présente la particularité d’avoir été animé, jusqu’en 2012, par Tomás Padrón, le responsable de l’unique centrale thermique de l’île du groupe Unelco Endesa qui fonctionne au fioul lourd. Cette double casquette ou cette conjonction technico-politique favorisèrent la transition énergétique qui prit près de 30 ans nécessaires pour concevoir, financer et construire l’originale centrale hydro-éolienne à 100% alimentée par les énergies renouvelables qui sera inaugurée le 27 juin 2014.
Toutefois le terrain avait été préparé par la transition écologique, déjà en route depuis les années 1940, qui fut un effort individuel, initié par le forestier Don Zósimo, puis collectif consacré par le classement en 2000 de toute l’île en Réserve de la biosphère par l’Unesco, au vu des succès suivants : fortification des activités traditionnelles avec les coopératives fruitières (bananes et ananas), laitière, fromagère, apicole et celle de la pêche; reforestation notamment avec des espèces locales; plantation d’arbres fontaines et pose de filets attrape-brouillard; redécouverte, sauvegarde et réintroduction du rarissime lézard géant endémique; constructions fonctionnelles proches du land art, etc. Ce classement international prestigieux, montrant la bonne articulation entre tradition et innovation dans la communauté insulaire, permit de lever des fonds pour passer à la transition énergétique à partir de l’an 2000, au-delà des premières anciennes ébauches datées  de 1986.
Il fallut au total 80 millions d’euros, en y incluant le travail de conception, pour implanter 5 éoliennes de chacune 2,3 MW, monter une usine de dessalement de l’eau de mer utilisant leur énergie, bâtir une centrale hydraulique de 11 MW prenant le relais en cas de panne de vent et donc construire deux réservoirs, à des altitudes différentes, fonctionnant en STEP (Station de Transfert d’Energie par Pompage). Le réservoir supérieur de 500 000 m3, alimenté au préalable par l’énergie éolienne, autorise 48 heures d’autonomie avec une chute d’eau de plus de 600 mètres vers la centrale hydraulique qui fonctionne telle une batterie tampon. Néanmoins cela ne signifie pas mettre sous cocon, voire démonter, la centrale thermique, d’ailleurs installée sur le même site. Le but est de faire un bouquet énergétique afin de sécuriser l’approvisionnement de l’île qui n’est absolument pas interconnectée. El Hierro se base largement sur une ressource renouvelable intermittente, tel le vent, mais ce dernier, l’alizé, y est soutenu et régulier, se levant quasiment tous les après-midis.
Sans nul doute, des liens priviligiés permirent en haut lieu de défendre le chantier original d’El Hierro notamment avec Ricardo Melchior, le responsable politique de la capitale régionale de Tenerife, lui aussi ingénieur en électricité et promoteur des énergies renouvelables (ENR), avec Isidoro Sanchez, ingénieur des Eaux et Forêts et député européen des Canaries, et surtout avec la femme politique espagnole Loyola de Palacio (1950-2006) qui fut ministre dans son pays puis Vice-présidente de la Commission européenne à Bruxelles, sans oublier le soutien de la royauté. Ainsi, les travaux de la centrale ont commencé après la visite du roi Juan Carlos Ier et de la reine Sofia fin 2006. De façon générale, l’Espagne est devenue depuis 2013 le premier grand pays au monde où l’éolien est devenu la principale source d’électricité et El Hierro en est sa vitrine énergétique. C’est un destin a priori surprenant pour le petit ermitage marin qu’est cette île qui abrite une communauté largement rurale vivant en partie des revenus des bananeraies, des champs d’ananas et des produits d’un élevage extensif.
Le montant des travaux sur El Hierro, soit 80 millions d’euros, repose sur l’Etat espagnol (à la hauteur de 35 millions), la région des Canaries, le gouvernement insulaire, la société d’électricité et de gaz Endesa (filiale de l’Enel italienne), sans compter des fonds européens. La centrale est gérée par une société mixte dans laquelle la communauté insulaire locale pèse 60%, l’électricien Endesa 30% et la région des Canaries 10% qui obtenu un régime spécifique décrété le 23 septembre 2013 par l’Etat espagnol. Enfin, le prix facturé aux utilisateurs restera inchangé.
Depuis plusieurs décennies, les gens d’El Hierro ont considérablement changé leurs comportements adoptant des démarches concrètes de développement durable. La mobilité électrique et la fabrication de biodiesel commencent à se mettre en place. Sur une île où les coopératives et les mouvements politiques et citoyens sont très actifs, il ne faut pas oublier la Wi-fi gratuite partout dans les lieux de réunion tandis que l’éclairage public led se diffuse. Enfin, les sports au contact de la nature se développent y compris chez les îliens : trekking, photographie sous-marine, parapente, etc. Enfin et ce n’est pas moins important, des artistes, tels l’architecte et plasticien César Manrique et le guitariste, scientifique et défenseur de la nature Brian May des Queen, ont été et sont associés à la démarche des gens d’El Hierro depuis les années 80.

En conclusion, la transition énergétique chez nous il faut la commencer le tôt possible et aller d’un pas décidé avec une vision ou autrement dit une politique car elle est progressive et donc lente. Ainsi sur El Hierro, la mise en place de l’énergie décarbonée a pris au moins 28 ans (1986-2014) tandis que la transition écologique s’était étalée sur une bonne cinquantaine d’années (1947-2000) mais, d’autre part, ne programme-t-on pas une centrale hydraulique pour un bon siècle ? La fête commencera sur El Hierro dès le 25 juin avec une réunion, placée sous les auspices de l’Unesco, avant le Jour J qui sera le 27 juin, celui du démarrage de la centrale hydro-éolienne. Que la lumière (propre) soit et que la fête commence !

Hier et aujourd'hui : l'entrée de la centrale Endesa au fioul de Llanos Blancos (peinte en vert !) et , à droite, la prise de recharge rapide pour véhicules électriques et leur emplacement (peints en bleu) . El Hierro. Mars 2014. A. Gioda, IRD.
Hier et aujourd’hui selon Endesa : l’entrée de la centrale au fioul de Llanos Blancos (peinte en vert, sans commentaire)  et , à droite, la borne de recharge rapide pour les véhicules électriques et leur emplacement (les deux en bleu). © El Hierro. Mars 2014. A. Gioda, IRD.

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